Un couple, c’est deux voyageurs qui cheminent ensemble. Deux qui s’aiment — en tout cas qui veulent, qui croient s’aimer. Les rapports de durée sont très variables : il y a les couples d’un jour, ceux d’une vie, ceux qui s’arrêtent avant terme, ceux qui n’en finissent pas de se prolonger, qui ne s’aiment plus mais se sont habitués, ou se supportent.

L’essence du couple est aussi son point de plus grande fragilité : le lien. Et la nature de ce lien d’amour qui unit dans un couple, c’est la liberté. C’est sans contrainte en effet, c’est volontairement que l’un s’attache à l’autre. Sans contrainte extérieure en tout cas, avec ce qu’il a jusqu’ici considéré comme étant sa volonté propre. Est-ce à dire que lorsque la relation ne convient plus, il suffit de dénouer librement le lien ? Pas si simple. La liberté désire aussi tenir ses engagements, exercer ses responsabilités. Elle les place dans l’autre plateau de la balance, en face de celui des désagréments, des déceptions, des lassitudes. Lorsque des enfants apparaissent dans le couple, cet autre plateau pèse lourd. Et la liberté mesure. Et la liberté, parfois, ne peut, ou ne veut dénouer.

Il faudra donc faire des compromis. Jusqu’où puis-je aller ? Céder sur presque tout, c’est-à-dire sur toutes les choses qui ne sont pas essentielles. Et assez peu de choses, au fond, le sont. Il reste tant de chemins pour voyager, tant de domaines pour être soi-même — tout en respectant scrupuleusement ces compromis. Car le lien, et toutes ses ramifications que l’habitude ne cesse de tricoter autour de lui, est comme un filet aux mailles toujours assez larges, et qui n’emprisonne que les gros poissons. L’essentiel est rarement un gros poisson. Je tiens tout de même à libérer l’un d’entre eux ? Bien mesurer, et rompre le filet, si je veux, si je peux. Dénouer le lien, le plus respectueusement, le plus délicatement possible. Mais me souvenir que ce filet est, en grande partie, tissé de mes propres engagements, de mes propres responsabilités. Si l’essentiel a peu de chances d’être dans les poissons qui y sont emprisonnés, il est souvent dans le filet qui les emprisonne.

Lorsque le fruit est mûr, il se détache de lui-même. Dans tous les cas, mieux vaut ne jamais dénouer le lien, ne jamais rompre le filet — mais le laisser se dénouer, le laisser se rompre.

La tâche consiste à liquéfier, à laisser se liquéfier son essentiel. Qui a-t-il en effet de si important, qui justifierait la pétrification de mon âme ? Lorsque la fluidité sera accomplie, aucun poisson ne sera plus prisonnier du filet, le filet n’enfermera plus aucun poisson. Il n’y aura plus de compromis. La liberté du voyageur aura cessé de mesurer, de délibérer : elle agira seulement. Pour lui, le lien du couple n’existera même plus. Pour son partenaire, il n’aura jamais été aussi solide.

Il aura, ils auront découvert le lien du pur amour.