À tout moment, le voyageur peut être amené à mettre en œuvre le principe du yo-yo : si tu désires qu’une chose vienne à toi, éloigne-la d’abord. Ou éloigne-toi d’elle. Et sa réciproque : si tu désires qu’une chose s’éloigne de toi, rapproche-la, ou rapproche-t’en. Car le voyageur n’est pas indifférent à ce qu’il rencontre, à ce qui lui arrive. Comme tout le monde, il préfère les climats souriants à la grisaille et aux intempéries, les pays accueillants aux rencontres malsaines. Comme tout le monde, il préfère l’amitié, la santé, la tranquillité. Or le voyageur ne souhaite pas toujours ce qu’il a, voudrait parfois ce qu’il n’a pas… Lorsque mon désir bute ainsi contre le réel, surtout ne pas résister ! Accepter, désirer même que vienne d’abord ce que je ne désire pas, que s’éloigne d’abord ce que je désire. S’il ne revient pas, c’est qu’il a mal été lancé ; s’il ne s’éloigne pas, c’est qu’il ne s’est pas encore suffisamment rapproché : le principe du yo-yo s’applique à tout, y compris au bonheur, y compris au malheur.

Cet éloignement, ce rapprochement, à contre-courant du désir, ne sont cependant pas le résultat d’une action délibérée — juste la conséquence d’une imperceptible impulsion. Pas plus que contre le réel, il ne s’agit de s’arc-bouter contre le désir, ni de s’acharner contre lui. Simplement se placer au bon endroit, retrouver son centre. Il suffit alors d’un souffle de volonté, effleurant à peine le niveau de la conscience.

À vrai dire, il ne s’agit pas de vouloir, mais de laisser vouloir. Comment cela ? En maintenant la conscience ouverte sur chacun des deux pôles du yo-yo : le désiré qui s’éloigne (ou le non-désiré qui se rapproche), et le désiré qui se rapproche (ou le non-désiré qui s’éloigne). La conscience se sent parfois douloureusement écartelée entre l’aller et le retour. Le yo-yo met parfois très longtemps pour revenir. Mais, avec un peu d’habitude, la conscience tient les deux bouts, sans effort. Tôt ou tard, le mouvement du yo-yo s’inverse.

Un jour, le voyageur découvre le secret du yo-yo : dans le même temps, ce qui s’éloigne se rapproche aussi, ce qui se rapproche, s’éloigne. Ce dont je désire m’éloigner ou me rapprocher, se rapproche, s’éloigne. Tout est là, se rapprochant-s’éloignant, apparaissant-disparaissant. Le mouvement du grand yo-yo du monde s’est concentré en un seul instant, en chacun des instants. Ce que veut le voyageur, il l’a — et ne l’a plus, mais il ne le veut pas. Ce qu’il a, il le veut — et ne le veut pas, mais il ne l’a plus.

Vouloir, avoir, n’ont plus vraiment de sens pour lui. Comment pourrait-il en être autrement ? Il ne veut rien, il n’a rien, il a tout. Il est tout.