Lorsque quelqu’un qui croit ne pas savoir rencontre quelqu’un qui croit savoir, et lorsque ce savoir porte sur la personne de celui qui croit ne pas savoir, ils entrent invariablement dans une relation de gourou à disciple.

Il est certes possible qu’un autre que moi en sache sur moi plus que moi-même : en ce qui concerne le nez que j’ai au milieu de la figure, c’est même le premier venu qui en sait plus que moi ! Il est donc possible que le gourou sache vraiment — et de celui qui sait, on a toujours avantage à apprendre. Mais comment savoir s’il sait ? Lui-même peut être de bonne foi, convaincu de me communiquer un véritable savoir…

Et puis, même s’il sait vraiment, il peut utiliser son savoir contre moi. Comment savoir s’il ne m’aliénera pas en me transmettant son savoir ? Lui-même peut être de bonne foi, convaincu de ne faire que m’aider par son savoir…

Les questions restent les mêmes lorsque la relation s’inverse : je peux, moi aussi, être convaincu que je sais, convaincu que j’aide.

Quelques repères :

- d’abord, ne pas croire que je puisse être le gourou de moi-même. Le gourou du voyageur, c’est toujours l’autre — tous les autres ;

- chacun d’eux sait réellement quelque chose sur moi. Un petit rien, mais que personne d’autre ne sait, que personne d’autre ne dira à sa place. Lorsqu’ils parlent de tout, ou de rien, les écouter. S’il leur arrive de parler de moi, m’écouter ;

- quelques-uns en savent réellement sur moi un peu plus que les autres : ce sont les vrais amis. Lorsqu’ils me parlent de tout, ou de rien, les écouter. S’il leur arrive de me parler de moi, m’écouter. Les écouter un peu aussi.

Les vérités, surtout lorsqu’elles me concernent, se dégustent à toutes petites doses : si cette dose est dépassée, ces vérités se transforment en leur contraire. N’écouter jamais plus que je ne m’en sens à chaque moment capable.

Autre chose : la relation est toujours réciproque. Exactement comme pour l’amitié. Plus quelqu’un est gourou pour moi, et plus je suis gourou pour lui — mais presque jamais sur le même plan. Que lui dire ? L’écouter, c’est l’essentiel.