La planète, c’est d’abord la nôtre, la bleue (enfin… il semblerait qu’elle perde de sa couleur, ces temps-ci). Les autres sont trop invivables, trop inaccessibles, trop improbables.
La terre donc, et rien qu’elle. Or, dans cette vieille, et grande, et riche demeure, nous nous sentons depuis peu à l’étroit. Nous faudra-t-il pousser dehors quelques-uns de ses locataires ? Gardons les arbres, c’est vital, deux ou trois loups, ça fait joli — mais les moustiques ? Y aurait-il un droit des moustiques ? Ou seraient-ils utiles à quelque chose ? Admettons. Mais le bacille de Koch ? Mais le virus de la grippe ? Que de calculs scientifiques et juridiques compliqués, pour apprécier au mieux la manière dont on devrait se partager les locaux !
Mais si l’homme, et tous les autres vivants, étaient non pas sur la terre, mais la terre ? Si l’humanité était un organe parmi d’autres, constituant, avec eux, comme un grand organisme ? Si la terre était atteinte d’une maladie de son humanité, d’une sorte de cancer de l’homme ? L’organe est peut-être capable d’auto-guérison : nous pourrions tenter de procréer moins, de polluer moins. Calculs scientifiques et juridiques…
Le voyageur préfère une autre solution : simplement aimer la terre. Non pas d’un amour éperdument romantique, ni même d’un amour rationnel, mais par une sorte d’instinct d’appartenance — d’un amour organique. Se relier au système nerveux central, devenir un avec lui. Il saura faire tous les calculs. Et ses ressources sont inimaginables. Mais s’il échoue, qu’importe : personne d’autre n’aurait pu mieux faire. Il se pourrait en effet que, par nature, l’organisme soit peu organisé, proliférant, fragile, mortel…
À quelque distance du brouhaha des hommes, écouter ce que dit la terre. Voir alors qu’elle ne parle pas : elle chante. Une polyphonie aux inflexions infiniment complexes et délicates. La musique de la sphère. Avec, comme en transparence, l’écho subtil de celle de toutes les autres sphères.
À terme, le voyageur comprend que la maladie fait partie de l’organe, le brouhaha de la musique.
Écouter… Le langage de l’amour organique, c’est la beauté.