La Sainte Vierge, ainsi que d’autres saints, l’Enfer et le Bon Dieu, feraient partie des vieilles superstitions du monde occidental.

Mais qu’est-ce que croire en la Sainte Vierge ? Ce n’est pas tant chercher à reconstituer les histoires de familles de Dieu que se donner les moyens de sentir, au-dedans de soi, la présence et l’attention d’une mère. À quoi bon, rétorquera-t-on, si la Vierge n’existe pas ? N’est-ce pas s’illusionner à trop bon compte ?

Pour atteindre l’existence des choses, il faut rechercher leur valeur. Que la Vierge existe ou non, elle a une valeur pour le voyageur si cette présence maternelle lui donne la force et la joie de se mettre en chemin vers autrui. Si cette chaleur intérieure ne le poussait pas à réchauffer ceux qui ont froid, en quoi aurait-elle de la valeur ? Comment pourrait-il prétendre qu’elle représente un existant divin ? Que l’arbre en face de moi existe ou non, il a une valeur pour moi si, entrouvrant un monde, il jette un rayon de lumière sur le chemin qui me mène à autrui. Si j’étais seul à percevoir cet arbre, voire un phénomène quelconque, en quoi cet arbre, ce phénomène auraient-ils de la valeur ? Comment pourrais-je être sûr qu’ils renvoient à du concrètement existant ? Comment saurais-je que je suis bien dans un monde ?

Qu’autrui, qui me parle, existe ou non, il a une valeur pour moi s’il élargit mon être au point que je me réjouisse et souffre et m’étonne avec lui, en lui. Si autrui n’ouvrait pas ainsi le champ de mon être, comment reconnaîtrais-je sa valeur ? Comment pourrais-je savoir qu’il existe réellement — c’est-à-dire, au moins autant que moi ? Comment, moi-même, serais-je sûr d’exister ?

L’existence n’a d’autres critères que ces critères de valeur, lorsqu’ils sont partagés par un cercle plus ou moins large d’individus. C’est la valeur qui mène à l’existence — ou plutôt : la reconnaissance de la valeur qui mène à la connaissance de l’existence. La valeur, elle, est au service de l’ouverture d’un monde, de la rencontre d’un autre. Serait-ce donc l’existence d’un monde, ou d’un autre, qui mèneraient à la valeur, elle-même critère de l’existence, et tournerions-nous dans un cercle ? Non pas l’existence d’un monde ou d’un autre, mais l’ouverture d’un monde, la rencontre d’un autre — cela conditionne toute existence, justifie toute valeur (les miennes, aussi bien !) Valeur, existence : deux notions faites du même bois, plus ou moins relatives selon qu’il s’agit de Vierge Marie, d’arbres perçus, ou d’autrui qui me parle.

Y a-t-il des valeurs, des existences absolues ? À cette question le voyageur, qui ne cesse de rencontrer des autres, qui ne cesse d’ouvrir des mondes et de s’ouvrir à des mondes, aussitôt répond : pas les miennes, en tout cas !