Le zoon logikón, c’est l’animal doué de lógos, l’animal qui parle, et qui dit des choses sensées — c’est l’homme.

L’homme, et seulement l’homme, disait le Philosophe. Or nous vivons aujourd’hui dans un monde où les objets les plus divers se mettent à faire des discours : il y a prolifération de boîtes parlantes et de messageries vocales, d’annonces enregistrées et de voix de synthèse. Dans les câbles qui se ramifient sous la terre, entre les antennes et les satellites qui tissent leurs grandes toiles dans le ciel, ça parle, ça parle…

Mais c’est l’homme qui tire les ficelles, dira-t-on, c’est lui qui parle à travers ces objets, qui les fait parler. Grâce à eux, il ne fait que démultiplier sa propre parole. Est-ce bien sûr ? S’agit-il encore de parole si, à mesure qu’elle prolifère, son sens se perd au point de disparaître tout à fait ?

En fait, l’homme ne parle plus. Depuis longtemps — à de rares exceptions près, depuis toujours. Ça parle tout seul à travers lui. Ça parle beaucoup. Et ça ne dit pas grand-chose… Quand ses paroles retrouveront-elles du sens ? Quand le voyageur redeviendra-t-il un zoon logikón ? Lorsqu’il se sera réapproprié un trésor aujourd’hui perdu, et qui était, avant que l’homme n’apparaisse, le milieu unique dans lequel baignaient toutes choses : le silence.

Le silence, c’est-à-dire l’absence de parole — donc l’évidence du vrai, l’immédiateté du monde, la transparence du sens, la limpidité des valeurs. Mais attention ! Le voyageur ne retrouvera pas ce silence simplement parce qu’il aura été empêché de parler, ou qu’il n’aura plus rien à dire. Ce silence habite celui qui a décidé de se taire. Se met-il à parler ? Ce silence coule au cœur même de ses paroles — silence qui ne cherche à démontrer aucune Vérité, mais qui est inépuisable production de sens et de valeurs, production qui ne prend toute sa consistance qu’au moment où elle est reçue par autre que lui. D’où la multiplicité des valeurs, d’où les contradictions du sens… Ce silence indique le réel, rien que le réel. Tout le réel ? Suffisamment, en tout cas, pour combler un instant — chaque instant — l’insatiable désir de voir, de connaître et d’aimer.

Silence logikón, où plus aucune lettre, plus aucune carte ne peuvent désormais accompagner Viator.