Parmi les hommes, il y en a qui ont la foi. Ils ne savent pas, sans doute, mais ils sont convaincus. Convaincus, s’ils ont foi en Dieu, que sa toute puissance a des égards infinis pour leur infinitésimale personne. S’ils ont foi en l’homme, que sa bonne volonté viendra à bout de la méchanceté du monde. S’ils ont foi en la science, que la rationalité les mènera vers un parfait bien-être. Et tous, ils sont convaincus que leur foi se transformera un jour en parfaite certitude.

Les autres, ceux qui ne se sentent pas particulièrement protégés par le ciel, rassurés par les vertus des hommes, illuminés par le progrès — qui n’ont pas la chance et le bonheur de la foi — doutent. Peut-être aimeraient-ils l’avoir, la foi ! Mais désirer la foi, n’est-ce pas avoir foi en la foi — n’est-ce donc pas, nécessairement, l’avoir ? Peut-être, mais la foi en Dieu n’est tout de même pas la même chose que la foi en la foi en Dieu… Disons que, de la certitude au doute le plus radical, il y a différents degrés de foi, et que la foi elle-même tend vers la certitude.

Mais il est une autre forme de foi, sans commune mesure avec la certitude et le doute : c’est la foi du joueur.

Le joueur joue en visant toujours le but du jeu, mais le but atteint ne l’intéresse plus. Il lui faut vite un autre jeu, et viser un autre but. Ainsi, cette sorte d’homme de foi ne se demande pas s’il parviendra à atteindre le but qu’il vise — ni même si ce but existe. Il ne sait rien à son sujet, ne se le représente pas. Il sent simplement que celui-ci le met en mouvement. Pas de certitude. Pas de doute. Pas davantage de convictions. C’est viser qui l’intéresse, et non toucher la cible. C’est jouer, et non gagner.

Avoir une foi de joueur en Dieu, en l’homme, en la science, c’est se donner, dans une certaine direction, une impulsion pour marcher, une lumière pour éclairer son voyage. Un tel homme de foi serait très vite insatisfait s’il atteignait ce vers quoi tend sa foi. Un tel homme de foi ne désire rien d’autre que la foi.